Guerre patriotique

Le populisme saison 1 a fait son terreau des difficultés de la classe moyenne dans les pays développés: les pertes d’emplois qualifiés dues à la désindustrialisation et la stagnation des salaires ont donné naissance à une crainte généralisée de «déclassement». À cette cause première, sociale, s’ajoute celle, connexe, de la peur de l’immigration, laquelle a été nettement renforcée par les attentats terroristes islamistes.

Au tournant du millénaire, s’est créé un amalgame d’une «fin» conjointe du modèle social et du modèle culturel, bref de la civilisation européenne en Europe et américaine en Amérique. Pour les électeurs populistes, l’élite, enfermée dans sa bulle, ne le voit pas ou pis, elle en profite. Pour sortir de ce déclin, il faut un sursaut et de nouveaux leaders politiques. Eux sauront «reprendre le contrôle» et rétablir la civilisation.

Deuxième cavalier: l’individualisme

Alexis de Tocqueville, auteur de De la démocratie en Amérique (1835), craignait que le libéralisme et la démocratie ne conduisent à un individualisme excessif où serait perdue de vue la société dans son ensemble. La démocratie libérale se sabordera et disparaîtra quand elle aura tant réussi que «l’individu [sera] ramené sans cesse vers lui seul». Intuition prémonitoire! On a la forte impression d’être arrivé à cette dissolution.

Le philosophe Marcel Gauchet le décrit puissamment: «Nous aurons assisté, au cours de ces quarante dernières années, à la naissance de la société des individus. Non pas simplement une société caractérisée par le comportement individualiste de ses membres mais une société qui se définit en théorie et en pratique comme composée d’individus.» Il s’agit d’«un événement civilisationnel»: la société (celle de Rousseau) qui «assignait à chacun sa place et son destin (…), où chacun avait une conscience aiguë de ses obligations envers le groupe», est devenue la société où «l’individu est premier en droit» et la société «œuvre pour qu’il en soit ainsi».

Chacun «est déchargé de l’obligation de produire et d’entretenir le lien de société». Cette inversion d’ordre individu/société remet tout en cause: la démocratie dépassée par «l’exclusisme des droits individuels»; la famille qui n’est plus «la cellule de base de l’organisme social» mais «devient privée»; le genre, «je suis autre chose que ce que le hasard de la sexuation a fait de moi»; la raison «poussée de côté par l’affect» et la vérité «puisque des thèses fantasmagoriques qui correspondent à mon expérience vécue (…) pourraient être vraies»[1].

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